Habiter
l’invisible

Travaux en cours, usines désaffectées, ancien centre de redressement pour adolescents, un sol craquelé dans une maison de campagne où les juifs se cachaient pendant la guerre, démolition d’un immeuble, maison de village acheté par une anglaise pendant la seconde guerre mondiale pour un projet d’écriture, asile déserté sur une île touristique, un vieil homme attend dans une église, une discothèque des années 50 fermée pour redressement fiscal, maison de famille abandonnée, des vêtements sans corps, la mer l’hiver, les toiles d’araignées, le café servi pour des fantômes, la pluie battante, des cigarettes à la fenêtre, l’anti-monde, un monologue de théâtre sur une scène vide et sans public, des volets fermés pour des nuits d’insomnies…

Photographies de recoins silencieux des bords du monde, des grands espaces inhabités dans l’architecture du vide. Combien de temps encore pour que l’inhabitable devienne vivable?
Ce matin, au réveil, j’habite l’invisible avec ces quelques mots qui restent: souffle voilé d’un réel. Aujourd’hui l’absence gagne, les bruits de l’ombre restent.

Murs
Horizontaux

Seuls les murs comptent et l’espace entre. Seuls les murmures racontent. Et le criantre

Fenêtres
Il y a le possible, cette fenêtre du rêve ouverte sur le réel. V.Hugo

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Tu me proposes, fenêtre étrange, d’attendre ;
déjà presque bouge ton rideau beige.
Devrais-je, ô fenêtre, à ton invite me rendre ?
Ou me défendre, fenêtre ? Qui attendrais-je ?

Ne suis-je intact, avec cette vie qui écoute,
avec ce coeur tout plein que la perte complète ?
Avec cette route qui passe devant, et le doute
que tu puisses donner ce trop dont le rêve m’arrête ?

                                      Rilke

La mesure des
Choses

Mesurer les mots, mesurer la durée de vie d’un escargot, mesurer le trou du réel, mesurer la distance d’une conversation, mesurer la chute au sol et le goût du béton, mesurer l’intervalle silencieuse. Mesurer les contours d’un corps courbaturé, mesurer l’attente avant ma parole, mesurer cette parole qui se casse la gueule sur l’autre, mesurer la distance entre le dire et l’entendre, mesurer le périmètre du vide. Mesurer les blancs mallarméens, mesurer le passage de la porte de mon psychanalyste, mesurer le souvenir d’enfance, mesurer l’apnée du sommeil, mesurer les larmes sur la joue, mesurer les fissures au mur, mesurer l’ombre au sol. Mesurer le temps de repos entre les douleurs, mesurer la hauteur de mes yeux face à la nuit, mesurer la peur dans le ventre de l’insomnie,  mesurer le pied de la lettre quand N. s’adresse à moi exaspérée : « il faut que tu prennes la mesure des choses ! »

Full Fall
Falling

Les catastrophes, La chute. Les bombes. Le chaos et Pina Bausch

Une plainte d’amour. Se souvenir, se mouvoir, se toucher. Adopter des attitudes. Se dévêtir, se faire face, déraper sur le corps de l’Autre. Chercher ce qui est perdu, la proximité. …Ne savoir que faire pour se plaire. Courir vers les murs, s’y jeter, s’y heurter. S’effondrer et se relever. Reproduire ce qu’on a vu. S’en tenir à des modèles. Vouloir devenir un. Etre dépris. S’enlacer. He is gone. Avec les yeux fermés. Aller l’un vers l’autre. Se sentir. Danser. Vouloir blesser. Protéger. Mettre de côté les obstacles. Donner aux gens de l’espace. Aimer.

‎(Raimund Hoghe, « Café Müller » – Associations d’idées, dans le livre « Pina Bausch, Histoires du théâtre dansé »)